Peut on croire en la Justice en 2017 ?

Ce thème était celui fort bien préparé par la Compagnie des Experts de Justice près la Cour d’Appel de TOULOUSE dans le cadre de son colloque « Magistrats / Avocats / Experts » tenu le 1er décembre 2017 à l’espace Vanel de la Médiathèque José CABANIS de TOULOUSE.

Outre les divers propos introductifs il en est un à dégager visant à exprimer la nécessité d’adjonction ou non du terme « encore » au sein de ce titre de fond.

La qualité des intervenants était exceptionnelle et il est manifeste que de tels débats auraient pu nécessiter une durée de séminaire d’une semaine. Néanmoins la contrainte de limite de temps évite aussi des épanchements et/ou des dérives du sujet qui sont de nature à lui retirer de l’impact à son essence même.

Il est agréable de constater que des Experts de Justice, très hauts techniciens, en quelle que science que ce soit, bénéficient d’une culture qui les exclut d’une considération de robotique, raisonnant binairement, comme l’informatique, en zéro ou un, oubliant la notion de « in concreto » et surtout de l’environnement contextuel auquel le qualificatif de science exacte ne s’applique pas.

De Socrate à Sénèque ou à Karl POPPER, pour n’en citer que quelques-uns, l’expression philosophique était présente, non pas en expansion d’une culture pompeuse mais en référence avec le mode de réflexion à observer, le concept de raisonnement à adopter. Grande satisfaction dans une période de lecture d’Arthur SCHPOPENHAUER dans « l’Art d’avoir toujours raison » où chaque Expert de Justice devrait y puiser des éléments de sa réflexion soumise au principe d’amélioration continue en son concept de la roue de DEMING.

Pour en revenir au corps du sujet la question ne devrait pas souffrir de temps important pour bénéficier de sa réponse claire et précise. En effet, la Justice, aussi perfectible qu’elle puisse être, présente un caractère d’équilibre convenable et respectueux des Obligations et Droits qu’elle supporte. Le vrai fond du sujet est celui de la place de l’homme dans cette thématique et de la confiance que l’on puisse lui porter. Peut-être même qu’en l’état il ne soit pas si nécessaire que cela de vouloir à tout prix féminiser ou « inclusiviser » le terme. Le pouvoir et ses dérives, voire malheureusement ses éventuelles corruptions, sont très fortement masculins.

C’est peut-être d’ailleurs au terme de pouvoir qu’il conviendrait de s’attacher.

Sans revenir sur les concepts développés, notamment par MONTESQUIEU, il est à s’en tenir à notre Droit positif et au titre VIII de notre Constitution « De l’Autorité Judiciaire ».

Selon MONTESQUIEU la Justice est un rapport de convenance. En effet elle est le fruit d’un contrat sociétal permettant d’assurer une sociabilisation de la vie en communauté. Mais ce contrat est d’essence politique, donc délégué et où les groupes de pressions et certains intérêts partisans se manifestent.

La terminologie de notre Constitution apparait comme vertueuse et d’une haute considération pour cette Institution.

En effet, la notion de pouvoir implique une volonté revancharde sur le passé et le présent, l’usage de méthodes pas toujours très transparentes et/ou vertueuses et surtout une remise en cause périodique, voire en tout temps, selon les tensions pouvant se produire. Le pouvoir n’est effectif que lors de son attribution. Instantanément après il devient remis en cause, sujet à débats. Il se conteste en sa notion exprimée par le Centre National de Ressource Textuel et Linguistique « de critique de l’ordre établi ».

La notion d’Autorité semble plus appropriée et moins contestable même s’il conviendrait d’y porter une analyse au regard des approches juridiques, philosophiques et sociétales.

Il est néanmoins possible de considérer son caractère de force de considération, de valeur reconnue et de référence à l’instar de ce qu’exprime d’ailleurs la notion Juridique « d’Autorité de la chose jugée ». Là encore il s’agit d’une convention sociétale à établir et à reconnaître.

La Justice n’est donc pas un pouvoir, en ce qu’exprimée au nom du peuple Français, même en ses constructions politiques et parfois politiciennes, elle est servie et appliquée par des Serviteurs indépendants. Considérant le débat Franco-Européen, sur la notion d’Autorité Judiciaire à conférer ou non au Ministère public, il reste à constater que le dernier mot revient au Juge indépendant et inamovible.

Si parfois le « politique » tente de faire une ingérence dans l’œuvre de Justice, y compris par la voie législative exploitée, au nom du peuple Français, le Juge détient un moyen d’importance, qu’il n’utilise qu’avec parcimonie, et que l’on appelle les arrêts de provocation. Ce mode opératoire, souvent mal perçu par le citoyen et rarement bien commenté par les médias, renvoie chacun de nous à ses propres responsabilités et réflexions à produire. Plusieurs de ces exemples ont généré de fortes évolutions positives à l’intérêt général. Il est à s’interroger si un récent Jugement dans un Drame de « viol » ne s’inscrit pas dans cette démarche de fond.

Pour le reste c’est à chaque citoyen d’exercer ses responsabilités avant même de dire j’assume parce qu’il sait qu’il ne se produira rien. Le pouvoir de « politique » n’a d’intensité que celle qui lui est délaissée, abandonnée.

Mais alors, la Justice, avec parfois les médiatisations dont elle fait l’objet, peut-on « encore » y croire ? En 2017 ou en 2030 ?

Comme en tout autre domaine, le fait de cette question de croire ou non ne devrait pas porter sur l’Institution mais sur l’Homme, masculin ou féminin, sur l’Etre humain de notre Société.

Quel que soit le statut de l’acteur présent, lors d’une action de Justice, c’est avant tout les personnes, avec leurs valeurs, la rigueur qu’elles s’imposent et l’insoumission qu’elles opposent aux forces de pression, qui feront ou non la « qualité » de l’œuvre produite et en l’état l’Oeuvre de Justice.

La grande difficulté de notre monde actuel, n’est pas tant le fond que la forme. La Justice, son Institution sont construites, comme cela a été exprimé ci-avant, sur un contrat sociétal perfectible mais largement acceptable. La forme, à mettre en cause, est celle de la vitesse, la vitesse de production des infractions, la vitesse de leur médiatisation, la vitesse d’émotivité primaire, réactionnelle, la vitesse politicienne, etc.. La Justice elle, est lente, a nécessité de temps et de sérénité et c’est en cela qu’elle est probablement durable et éventuellement source d’une reconsidération de nos prétentions actuelles. N’oublions pas, en l’état des connaissances acquises, que l’emballement cinétique, l’accélération à l’infini, n’aboutissent qu’à l’éclatement.

Dans ce contexte, non idéal, mais raisonné, il semble que trois principes soient fondamentaux pour maintenir l’équilibre du contrat sociétal établi et que représente Thémis avec sa balance.

Le premier est celui du contrôle, ascendant mais également descendant, qui ne traduit aucune soumission des uns envers les autres mais de la sécurisation des actes produits et de la sécurisation et confirmation d’une culture commune acceptée et partagée.

Le deuxième porte inévitablement sur ce qui devrait être une motivation intrinsèque de tout être humain celui de l’amélioration continue. Il ne s’agit pas de systématiquement remettre en cause les actions produites mais de leur porter une analyse continue telle que prescrite par le principe, susvisé, de la roue de DEMING. Il est très hautement probable que le temps mobilisé se traduise, in fine, non pas en productivité, terme péjoratif où la seule ambition est de supprimer l’autre pour s’approprier ses résultats, mais de production qui traduit l’amélioration du taux de résolution au regard de celui de production des litiges et/ou infractions.

Le troisième principe est peut-être le plus fondamental que celui de la transparence, de la communication objective, là encore raisonnée, de l’implication Sociétale dans la connaissance des faits quel que soit leur positionnement dans leur traitement sociétal et/ou institutionnel.

Pour nous Experts de Justice, assister à de telles journées ne devrait pas se satisfaire du certificat de présence à verser à notre dossier éventuel de demande de réinscription. Une continuité devrait être donnée à la transmission des savoirs et des réflexions que nous ont offerts les intervenants. Notre reconnaissance devrait s’inscrire dans des productions écrites, contrôlables puis publiables sur un site accessible à tous où ainsi nous ferions œuvre d’amélioration continue et collective.

Jean-Luc CARTAULT

Lieutenant-colonel (e.r) de sapeur-pompier professionnel

Expert de Justice « Incendie-Explosion » près la Cour d’Appel de Versailles

Titulaire du Master II « Droit de la Sécurité Civile et des risques »

Auteur de « La protection Juridique du Préventionniste » Editions du Papyrus.

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